Linguistes
et lecture du rongorongo Par Lorena Bettocchi
Chapitre
III Un
chant ancestral : le rongorongo tau de la fin du 19e et du
début du 20e siècle Rapanui
1914 : Quelques jours avant sa mort, le Maori Tomenika a Tea-Tea récite un rongorongo tau, à la gloire de ses
ancêtres devant Katherine Routledge. Le couple britannique Scorseby-Routledge fit
une halte de 15 mois à l'Île de Pâques. Il s'agissait d'une expédition scientifique.
Munie de la photo de la petite tablette de Londres et de celles envoyées aux
différentes Académies par Monseigneur Tepano Jaussen -aux environs de
1886- Katherine interrogea les Rapanui
sur la signification de leur écriture. Personne ne put lui répondre. Dans la
maison d'une Pascuane, Daniel Te-ave
lui tendit une petite feuille de papier, détachée d'un carnet d'intendance
avec de beaux dessins stylisés. On l'informa qu'il s'agissait d'un rongorongo
tau, un chant annuel et que le
dessinateur était Tomenika a Tea-Tea, mais qu’il était malade, très âgé et
isolé à la léproserie. Katherine
Routledge parvint à convaincre son guide, l'ancien Ramón Te Haha, de la
conduire jusqu'à lui. Tomenika, en fin de vie, fit pour elle un autre dessin
et lui chanta péniblement un koro
(koro voulant dire père, ancien), à la gloire de quatre de ses
ancêtres... et la beauté de la faune
qui peuplait la côte en ce temps-là. Ce
chant ancestral s’intitulait Timo te ako-ako : la grande récitation
des signes. Maladroitement interprété par Katherine dans ses notes du
British Museum et par le bon Docteur Ramón Campbell dans son ouvrage
« La herencia musical de Rapanui ».
Je l’ai restructuré sur http://www.ile-de-paques.com/tomenika_1.htm
par respect des descendants de la famille de
Tomenika. Les internautes qui étudient
la langue ancienne rapanui auront
ainsi connaissance de ce qui fut publié
et ce qui vient d’être corrigé. Katherine
Routlede fut un témoin de ce qui restait à Rapanui sur le rongorongo. Très
peu d’indications sur la sémantique propre aux anciens signes, mais par contre elle réécrivit des
informations sur le rongorongo tau et
les derniers rituels grâce á des témoins nés
au début du 19e siècle - Hé,
Ramón te Haha et Kapiera- les
fêtes annuelles organisées par le roi Nga-ara à Anakena, les célébrations
avec les tablettes à la lune montante et à la lune descendante. Toutes ses
notes sont précieuses, mais des documents manquent à l’inventaire. Le
rongorongo tau donna naissance à des tablettes comme celle du Musée de la
Merced ou l’os du musée Fonck, comme la tablette de Washington. On les a
appelées mama également. Je les appellerai les premières tablettes du renouveau
culturel comportant des signes créés par l’homme, comme dans les cultures
millénaires, les premiers écrits furent des signes invariablement
représentatifs de la nature. En voici plusieurs :
Anecdote : Durant son séjour, alors qu’elle traçait un croquis de son visage tatoué, Barnabé Tori releva
quelques signes, contenus dans les photos de la tablette de Londres et
de l’Aruku kurenga qui avait été envoyée à Mgr Tepano Jaussen. En 1914, les
Pascuans avaient perdu jusqu’à l’image de leurs tablettes, les signes,
l’épigraphie. Ils retrouveront un petit quelque chose lors de la venue de
Metraux qui interrogea les Rapanui en mettant sous leurs yeux le répertoire
Jaussen. Par chance, Lavachery
leur fit cadeau du document, à
la fin de l’expédition. Conclusion : entre 1886 et 1934,
les Pascuans avaient perdu jusqu’aux
images de leur proto-écriture. L’iconographie était si pauvre !
La parole fut perdue, la culture assassinée.
Ce fut une douleur
supplémentaire pour eux. Mais nous allons voir que les lépreux prirent la
relève. Epigraphie,
sémantique, et correction du répertoire de Tepano Jaussen : Les
derniers Maori rongorongo du début du 20e siècle Donc,
à la fin du 19e siècle, les tablettes disparaissent de Rapanui et
s'en vont enrichir les vitrines des différents musées du monde. Le rongorongo
des ancêtres et du moyen-âge n’est plus qu’un
souvenir. Le peuple Pascuan crée une nouvelle écriture proche de la
nature… Cinquante ans passent… Par miracle, quelques anciens, descendants
de Barnabé Tori qui fut l’un des premiers instituteurs de l’île, conservent
en mémoire le souvenir des signes sacrés et même de quelques sections
de tablettes: celle de Londres et celle de Rome, la Aruku kurenga. C’est que
Katherine Routledge avait montré leurs
photos aux Pascuans en 1914 et des sections
furent relevées sur feuilles de papier. En secret, les Miru les
tracèrent sur le sable, les feuilles de bananier et… à partir de 1936, sur
des feuilles volantes trouvées par-ci, par-là, ou sur des cahiers d'écoliers.
Le plus beau cadeau que l’on pouvait faire aux lépreux était de leur apporter
un crayon et du papier… Séances
d'écriture tapu, secrètes. La venue
d'Alfred Metraux et de Thomas Lavachery avec en mains le répertoire de
Monseigneur Jaussen de 1893, publié après sa mort, va raviver le besoin
d'écrire de ce peuple créateur, amoureux, fasciné par cet art royal qu'est
l'écriture. Ateliers
et signes tracés en invoquant la
mémoire des ancêtres, secrets durant 17 ans. Les Anciens créèrent les
manuscrits de la modernité, mêlant le rongorongo, proto-écriture ancestrale
à une écriture romaine, la nôtre, qui leur fut enseignée par Barnabé Tori et
Pakomio Maori Ure Kino. C'est Thor Heyerdahl qui découvrira les manuscrits en 1955. Il prendra la peine de les
photographier, acheta deux exemplaires
pour le Kon Tiki Museum et confia des photos à Thomas Barthel qui lui,
trouvera d'autres documents à la
léproserie, ceux de Gabriel Veri-veri. Ce sont les manuscrits de "Old
Ones", ainsi nommés par Thomas
Barthel. Ils furent écrits par
plusieurs mains, mais le principal écrivain
fut Gabriel Veri-veri, initié
en signes rongorongo par Arturo Teao Tori, de la famille de Barnabé
Tori. Un atelier spécifique va
corriger le répertoire de Monseigneur Tepano Jaussen. J’ai analysé ces documents, principalement
quatre nouveaux, inédits -le manuscrit F-
et j’ai trouvé le
manuscrit G chez le Docteur
Cea. J’ai
appelé leur atelier "Rongo
Metua" le message des anciens[1] Grand
message, oui, destiné à tous les natifs de la Polynésie : car cet atelier de correction du répertoire Jaussen
prouve à tous les linguistes du monde que les Rapanui connaissaient suffisamment la structure du rongorongo, de manière à corriger ou proposer d'autres signifiants, face aux
erreurs de Metoro Taua a Ure ou de la publication du répertoire de
Tepano Jaussen en 1893. Publication que le prélat n’a pu vérifier puisque
réalisée deux ans après sa mort. Sur www.ile-de-paques.com il y a plusieurs pages sur les manuscrits. Epigraphie et tentatives de décryptage 1954-1958 : Thomas Barthel
en épigraphie suivi de Jacques
Guy 1982 -2006 sur la tablette Mamari Datations,
analyses des bois des tablettes Le nouveau catalogue des signes |